Affaire Marina: condamnation inédite de la France par la CEDH en matière de protection des mineurs
C’est une première et un espoir pour les défenseurs des enfants. La CEDH a estimé que la France n’a pas protégé la fillette des « tortures et traitements inhumains » infligés par ses parents. Elle était morte en 2009, à 8 ans, malgré un signalement à la justice et après plus de six années de sévices.
La CEDH était saisie par deux associations de protection de l’enfance sous l’angle des articles 2 et 3 de la Convention:
- la question de savoir si les autorités françaises ont rempli leurs obligations positives pour protéger une enfant des maltraitances de ses parents ayant abouti à son décès
- la question du droit à un recours effectif pour engager la responsabilité civile de l’État français du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice.
La CEDH n’a pas repris l’argumentation développée par les requérants sur le fondement de l’article 2 de la Convention, ce que l’on peut regretter.
En revanche,La Cour européenne des droits de l’Homme estime que la France a violé l’article 3 de ce traité international entré en vigueur en 1953. Il interdit la torture, les traitements inhumains ou dégradants. La Cour énumère plusieurs constats l’amenant à conclure que le système a failli à protéger Marina des graves abus qu’elle a subis de la part de ses parents et qui ont d’ailleurs abouti à son décès.
Ainsi, notamment, en 2008, la directrice de l’école de Marina avait adressé un signalement au procureur de la République du Mans et au président du Conseil général, inquiète de ne pas voir la petite fille en classe. Elle savait que dans l’ancienne école de Marina, qui déménageait souvent, on soupçonnait une maltraitance.
Ce signalement a déclenché selon la Cour européenne « l’obligation positive de l’Etat de procéder à des investigations« . Mais les mesures prises par les autorités entre le moment où fut lancée cette alerte et la mort de l’enfant n’ont pas été suffisantes pour la protéger des abus de ses parents.
S’agissant de l’article 13 de la Convention (nécessité d’une faute lourde pour engager la responsabilité de l’Etat), la Cour écarte l’argumentation des associations.
Pour Marie-Pierre Colombel, présidente de l’association Enfance et partage, c’est l’aboutissement d’un long combat : « On a saisi la CEDH en avril 2015 et auparavant nous avions déjà assigné l’Etat en responsabilité pour faute lourde en avril 2013, nous avions été déboutés et après appel, la Cour de cassation avait rejeté notre action. On s’est demandé à l’époque si c’était important de continuer et nous nous étions dit que cela en valait la peine. »
C’est la première fois que la Cour européenne condamne la France en matière de protection des mineurs, a souligné Grégory Thuan dit Dieudonné, avocat de l’association Innocence en danger :
« C’est une leçon. Je pense qu’il faut voir les choses comme cela. J’espère que cela aura un impact positif sur les services de l’Etat concernés, en particulier les services du parquet. Et puis à l’encontre aussi des services sociaux, donc des conseils départementaux. Car l’un des problèmes en France, c’est la multiplication d’acteurs qui ont un peu tendance à diluer le niveau de responsabilité, se lançant ou se relançant la responsabilité les uns vers les autres.«
La CEDH a très largement utilisé le rapport commandé par le défenseur des droits auprès d’un spécialiste de la protection de l’enfance, Monsieur Alain GREVOT. Pour le retrouver:
https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_r_20140630_grevot_marina.pdf